Le dilemme de Toyota
Les Japonais sont un peuple assez particulier en termes d'automobiles. Ils ont leurs codes, leurs méthodes, et une idéologie qui est singulière au peuple de l'archipel. Une idéologie qui risque de coûter cher à Toyota, pourtant en pleine forme actuellement.
Les Japonais sont un peuple assez particulier en termes d'automobiles. Ils ont leurs codes, leurs méthodes, et une idéologie qui est singulière au peuple de l'archipel.
Une idéologie qui risque de coûter cher à Toyota, pourtant en pleine forme actuellement.
Quel est ce paradoxe qui frappe le géant automobile nippon ? Qu'est-ce que la culture "Kaizen" ? Et finalement, est-ce que Toyota aura le temps de rebondir ? C'est ce que nous allons décrypter, dans votre allongé du jour.
🤔 Le paradoxe Toyota
Toyota règne encore en maître sur l'industrie automobile mondiale avec 11 millions de véhicules vendus en 2024. Une performance impressionnante qui valide, à court terme, sa stratégie prudente : deux tiers de véhicules thermiques, un tiers d'hybrides et seulement 0,1% d'électriques.
Pendant que ses concurrents historiques reculaient sur leurs ambitions électriques après des investissements colossaux, le constructeur japonais affichait une santé insolente. Comme quoi, parfois, l'immobilisme paie.
Au cœur de cette approche se trouve Akio Toyoda, petit-fils du fondateur et président du groupe.

Malgré son passage de relais à Koji Sato comme CEO en 2023, son influence reste prédominante avec sa "stratégie multi-pathway" : hybrides, thermiques, hydrogène et un soupçon d'électrique. À 68 ans, le patriarche reste attaché aux moteurs traditionnels pour "l'odeur d'essence et le bruit".
Mais cette réussite immédiate ne masque-t-elle pas un danger à long terme ? Car si Toyota domine ses concurrents historiques, les nouveaux champions creusent l'écart technologique à vitesse grand V.
Tesla a vendu 1,8 million de véhicules électriques en 2024, tandis que BYD en a écoulé 4,3 millions, dont 1,8 millions de 100% électriques - soit 18 fois plus que Toyota. Un fossé qui s'élargit chaque année.
Dans l'écosystème automobile, Toyota risque de devenir le Nokia d'un monde de smartphones : dominant jusqu'au dernier moment, puis brutalement dépassé par une rupture technologique qu'il n'aura pas su anticiper.
🗻 La culture du kaizen
Le système de production Toyota (TPS) et sa philosophie du kaizen - l'amélioration continue par petites touches, et non le documentaire d'Inoxtag - ont révolutionné l'industrie automobile mondiale. Mais cette approche, si efficace pour perfectionner l'existant, devient paradoxalement le talon d'Achille du constructeur face à la révolution électrique.
L'exemple du cross-car beam est révélateur : cette barre d'acier de 9 kilos qui soutient le tableau de bord chez Toyota a été perfectionnée pendant des décennies pour absorber les vibrations des moteurs thermiques. Problème : les moteurs électriques ne vibrent pas, et Tesla comme BYD utilisent déjà des versions en plastique pesant 6 kg, plus légères et moins chères.
"Vous ne pouvez pas kaizen-iser un véhicule thermique pour en faire un électrique", résume Terry Woychowski, président de Caresoft, qui démonte et analyse les innovations automobiles. La transition exige une refonte complète de l'architecture des véhicules, pas une amélioration marginale.
Le défi s'étend aux chaînes de production. Dans l'usine Motomachi, les bZ4X électriques doivent quitter la ligne principale pour recevoir leur batterie avant d'y revenir, créant une inefficacité que le TPS combat normalement. "Ce n'est pas la ligne la plus efficace", admet Susan Elkington, responsable de la fabrication d'EV chez Toyota.

Plus préoccupant encore : BYD intègre déjà 40% de ses composants en interne, dont un module qui combine huit composants électriques distincts en un seul, réduisant poids et coûts de 20%. Toyota, habitué à optimiser des pièces standardisées fournies par des sous-traitants, peine à suivre cette intégration verticale qui devient la norme de l'industrie électrique.
🏯 Entre résistance et adaptation forcée
L'histoire de Toyota nous rappelle que le géant japonais a déjà su prendre des risques technologiques énormes.
Dans les années 1990, le Prius était une anomalie dans l'industrie : un véhicule hybride qui doublait le coût du groupe motopropulseur et garantissait des pertes sur chaque unité vendue pendant des années.

Cette décision, portée par Hiroshi Okuda – depuis effacé des récits officiels pour avoir osé s'opposer au retour de la famille Toyoda –, s'est avérée visionnaire.
Aujourd'hui, le nouveau CEO Koji Sato tente discrètement de préparer l'avenir électrique.
Il a promis 1,5 million de véhicules électriques d'ici 2026 et investit des milliards dans la production de batteries et la modernisation de trois usines. Mais avec seulement quelques dizaines de milliers d'électriques vendues actuellement, l'objectif semble plus fantasque que réaliste.
En parallèle, Toyota développe une nouvelle génération de moteurs à combustion capables de fonctionner avec différents carburants, y compris l'hydrogène. "Nous savons que les VE sont l'avenir", reconnaît Hiroki Nakajima, CTO du groupe. "Mais en attendant, nous allons continuer à améliorer ce que nous faisons le mieux." Voilà qui résume toute la mentalité Japonaise.
Cette position intermédiaire place Toyota face à un dilemme stratégique : attendre que le marché de l'électrique soit totalement mature risque de laisser un écart technologique insurmontable avec les pionniers, mais une conversion trop rapide abandonnerait des décennies d'avantages compétitifs dans les moteurs thermiques.