Comment sauver l'Europe ?
Des réformes majeures sont indispensables pour rattraper le retard face aux autres continents...
Vous n'avez pas pu le manquer : Mario Draghi, l'ancien président de la Banque centrale européenne, a récemment dévoilé son rapport sur la compétitivité de l'UE.
Selon lui, des réformes majeures sont indispensables pour rattraper le retard face aux autres continents, notamment en matière de technologie, de défense et de productivité.
L'Europe est-elle vraiment en situation critique ? Comment doit-elle aborder les enjeux stratégiques des prochaines décennies ? Et surtout, comment renforcer sa compétitivité ?
C'est ce que nous allons explorer dans l'allongé du jour.
❌ Les obstacles à la croissance sur le vieux continent
Si l’on devait résumer le problème européen en un graphique, ce serait celui-ci : il montre l’évolution de la productivité du travail en Union Européenne comparée à celle des États-Unis depuis 1890 :
Au cours de ce siècle, l'Europe a connu son pire déclin en dehors des périodes de guerre. Cet écart de productivité entre l'Europe et les États-Unis s'explique en partie par le choix des pays européens d'accorder plus de vacances et de réduire le nombre d'heures travaillées. Mais la cause principale reste que les Européens sont moins productifs, même à l'heure travaillée.
Comme nous l’avons évoqué hier, la crise énergétique provoquée par l'invasion russe n'a pas joué en faveur de l'Europe. Les prix du gaz et de l'électricité y sont bien plus élevés que ceux pratiqués aux États-Unis ou même en Chine.
Mario Draghi souligne que l'UE gaspille ses ressources communes, comme l'immense potentiel de son pouvoir d'achat collectif, et qu'elle manque de coordination lorsque cela est vraiment nécessaire. Il n’existe toujours pas de système budgétaire unifié, rendant impossible la synergie entre politique industrielle et politique commerciale, contrairement aux États-Unis et à la Chine.
Avec la possibilité d'une réélection de Trump en fin d'année, Draghi insiste sur l'importance de renforcer la défense du continent européen. Il précise qu’en 2022, les achats collaboratifs européens n’ont représenté que moins d’un cinquième des dépenses en équipements de défense, et qu'entre mi-2022 et mi-2023, 78 % de ces dépenses ont été allouées à des fournisseurs non européens, dont 63 % aux États-Unis.
📍Le Plan de Mario Draghi
L'idée centrale que Mario Draghi exprime dans ce rapport est que l'Europe doit repenser sa stratégie en matière d'économie privée si elle veut rester dans la course face aux États-Unis. Il insiste sur le fait que l'Europe doit dépenser davantage pour sa propre défense et préserver son influence sur la scène internationale.
Et pour y parvenir, il n'y a pas mille solutions : il faut de la croissance.
Selon lui, les entrepreneurs sont confrontés à une bureaucratie excessive lorsqu'ils veulent créer une entreprise ou commercialiser de nouveaux produits et services. Les entreprises technologiques, par exemple, doivent se plier à des centaines de lois gérées par 270 régulateurs répartis dans l'Union Européenne.
Pourtant, l'Europe a des atouts considérables : un niveau d'éducation élevé, un système de santé solide, et des forces spécifiques à chaque pays. Le problème réside dans la capacité à transformer ces avantages en industries productives et compétitives au niveau mondial.
Mario Draghi propose trois leviers d'action pour y parvenir :
👉 Réduire l'écart d'innovation avec la Chine et les États-Unis
Aucune entreprise européenne dont la capitalisation boursière dépasse 100 milliards d'euros n'a été créée de zéro au cours des cinquante dernières années. Pendant ce temps, six entreprises américaines, aujourd'hui valorisées à plus de 1 000 milliards d'euros, ont vu le jour. C'est un problème majeur. L'Europe a massivement investi dans des technologies arrivées à maturité, comme l'automobile, avec les principaux investisseurs en recherche provenant de ce secteur. Le blocage ne vient pas d'un manque d'idées, mais plutôt de la difficulté à les commercialiser. Les entreprises innovantes sont entravées par des réglementations trop strictes. Résultat : 30 % des « licornes » européennes ont délocalisé leur siège social, souvent aux États-Unis. Le même schéma semble se reproduire avec l'intelligence artificielle, où un cadre réglementaire excessivement rigide freine les entreprises. Si même Apple peine à s'y conformer, imaginez pour les start-ups !
👉 Un plan pour la décarbonisation et la compétitivité
L'Europe est sans doute en avance sur la décarbonisation, et cela pourrait représenter une opportunité majeure à terme. Toutefois, cela nécessitera une meilleure coordination entre les politiques.
L'écart des prix de l'énergie entre l'Europe et ses concurrents s'explique à la fois par un manque de ressources naturelles et par les règles du marché de l'énergie qui empêchent les industries et les ménages de profiter pleinement des énergies renouvelables.
Pourtant, l'Europe est leader mondial dans les technologies propres, comme les éoliennes et les centrales nucléaires. Mais elle doit saisir cette opportunité face à la Chine, où les entreprises sont lourdement soutenues par l'État.
👉 Renforcer l'indépendance de l'Europe
Nous sommes trop dépendants de quelques fournisseurs pour les matières premières critiques, notamment la Chine, alors que la demande pour ces matériaux augmente à cause de la transition écologique. La Chine, en contrepartie, veut que l'UE absorbe son excédent de production industrielle, mais cela ne plaira pas aux États-Unis. L'Europe doit donc se détacher de ces dépendances. Cela implique de conclure des accords commerciaux préférentiels, d'investir directement dans les pays riches en ressources, de constituer des stocks et de créer des partenariats industriels pour sécuriser les chaînes d'approvisionnement.
Les menaces pour notre sécurité augmentent et l'Europe doit s'y préparer si elle veut rester une union indépendante. Notre industrie de la défense est trop fragmentée, ce qui limite notre capacité à produire à grande échelle. Il est essentiel d'établir des standards communs pour que l'Europe puisse agir comme une puissance unie. Pour illustrer ce point, il existe aujourd'hui 12 types de chars différents en Europe, alors que les États-Unis n'en produisent qu'un seul.
En résumé, Mario Draghi insiste sur la nécessité d'alléger les contraintes pesant sur les entrepreneurs pour favoriser l'innovation. C'est l'étape indispensable pour que l'Europe puisse rattraper le retard pris par rapport à ses concurrents.